Rapport du Groupe International de Contact (GIC) venu au Pays Basque du 23 au 25 sept. 2015
Groupe International de Contact (GIC)
Rapport, conclusions et propositions
Octobre 2015
Le Groupe International de Contact (GIC) s’est rendu au Pays Basque du 23 au 25 septembre 2015.
Il a pu échanger de manière constructive avec de nombreuses institutions basques, des partis politiques et des organisations sociales impliquées dans la paix et les droits de l’Homme au Pays Basque, dans la Communauté autonome basque en Espagne et en Iparralde en France.
Après avoir pris en considération et analysé les informations ainsi collectées, le GIC a conclu que le processus de paix a atteint un point déterminant dans son évolution. Afin de garantir son évolution, le GIC pense qu’un certain nombre d’actions doivent être entreprises.
Pour cette raison, et contrairement à son habitude, le GIC publie un rapport sur les progrès effectués et les difficultés rencontrées dans la mission de normalisation politique, qui requiert un engagement des partis et un consensus sur les réponses apportées aux conséquences de la violence passée. De plus, avec tout le respect et l’humilité qui se doivent, le GIC fait des propositions sur la façon de surmonter ces difficultés.
Le GIC a également pris en considération les événements et déclarations postérieurs à la visite de septembre.
Conclusions sur les aboutissements et progrès
Il est compréhensible et louable que les dirigeants du Pays Basque (Espagne et France) issus de la politique et de la société civile se concentrent sur les difficultés bloquant l’avancement du processus de paix.
Cependant, n’oublions pas les réalités existantes dix ans auparavant et les aboutissements incroyables ayant été atteints :
• La violence de l’ETA a pris fin de manière irréversible. Les engagements pris par l’ETA en 2011 ont été remplis. De plus, depuis 2011, les dirigeants politiques à Madrid, Paris et Gasteiz/Vitoria ainsi que les personnes en charge des questions de sécurité s’accordent à dire que la violence de l’ETA est et restera un chapitre noir du passé.
• Aujourd’hui il existe un droit illimité de s’engager dans des activités politiques non violentes et, concernant le partis politiques représentant toutes les opinions politiques, y compris la gauche abertzale, de participer dans les institutions démocratiques à travers tout le Pays Basque, la Communauté de Navarre et à Madrid.
• Ne sont plus menacés les membres du Parti Populaire, du Parti Socialiste, des forces de l’ordre, des institutions judiciaires ou les acteurs du monde économique.
• Il n’y a pas de tentatives d’extorsion dans le cadre de l’impôt révolutionnaire.
• Le gouvernement basque joue le rôle de dirigeant avec son travail sur les propositions conjointes avec les autres partis politiques concernés par l’objectif de coexistence et par le besoin de trouver des solutions aux défis du processus de paix.
• Des victimes des deux bords (de la violence de l’ETA et de l’Etat) travaillent conjointement pour renforcer la coexistence (voir document ERAIKIZ).
• Virtuellement tous les partis politiques du Pays Basque en France ont travaillé ensemble pendant ces deux dernières années afin de trouver un terrain d’entente concernant le cadre constitutionnel d’Iparralde.
• Une conférence de haut niveau pour ‘La Paix au Pays Basque ‘ s’est tenue à Paris à l’Assemblée Nationale en juin 2015 avec la présence de nombreux responsables politiques français. Cela a permis de mettre en avant la question des conséquences de la violence et en particulier celle des prisonniers et du besoin de réconciliation. Un comité a vu le jour (COPIL) afin de promouvoir le processus de paix à Paris.
• Le gouvernement français s’engage, au niveau ministériel, auprès d’organisations de soutien aux droits humains des prisonniers.
• Le gouvernement français a proclamé publiquement et sans équivoque son intention de revoir sa politique concernant la dispersion des prisonniers et de rapprocher les prisonniers de leurs foyers.
• Il y a, pour la première fois dans l’histoire moderne, un soutien institutionnel large pour travailler vers davantage de coexistence et de coopération entre les gouvernements de l’a Communauté autonome basque, de Navarre et d’Iparralde (PB français).
• Sur l’utilisation de la violence à des fins politiques, la gauche abertzale continue de mener une réflexion importante, d’accomplir une autocritique et d’en faire des déclarations publiques; par exemple, les dirigeants de BILDU (incluant les dirigeants de SORTU) ont déclaré récemment : « Nous devons dire à nos enfants que la violence est toujours le plus mauvais choix. Même lorsqu’il ne semble pas y avoir d’autre alternative, la violence reste le plus mauvais choix. »
• Nous considérons que les propositions récentes du Parti Populaire de rétablir la Commission pour la paix au sein du gouvernement autonome basque est une opportunité permettant de travailler ensemble malgré le retrait ultérieur de cette déclaration. C’est un signe positif indiquant que certaines lignes sont en train de bouger dans l’espace politique basque, créant ainsi de nouvelles opportunités pour le dialogue et la recherche de solutions..
Conclusions sur les difficultés bloquant l’avancement du processus
• La position inflexible du gouvernement espagnol de ne pas s’engager à régler les conséquences de la violence en dépit de ce qui était proposé à Aiete
• La politique du gouvernement espagnol consistant à persister dans la stratégie de l’anti-terrorisme, malgré la normalisation politique et la reconnaissance par le gouvernement que la violence de l’ETA a pris fin de manière irréversible.
• La non-participation du Parti Populaire et du Parti Socialiste dans les initiatives de construction de la paix.
• La possession d’armes par l’ETA 4 ans après la cessation des activités paramilitaires
• L’application constante des législations spéciales de sécurité dans le nouveau contexte politique qui est libéré de la violence ou de la menace du recours à la violence.
• La politique pénitentiaire ne change pas. La dispersion des prisonniers dans des prisons éloignées de la famille continue.
• Le dialogue entre les partis politiques au PB ouverts à la coopération dans le processus de paix est dans l’impasse. Les sujets contentieux sont : les prisonniers, désarmement, mémoire. Les partis ne se sont pas engagés plus de deux mois.
• Le manqué de confiance entre les partis qui s’étaient engagés reste un problème.
• En dehors d’une initiative récente par le PP, ni le PSE ni le PP n’ont montré d’intention de rencontrer ou de dialoguer avec d’autres partis politiques sur des questions liées à la situation de post-conflit, questions qui nécessiteraient une résolution.
• La communauté internationale, en en particulier la communauté européenne semble ne pas reconnaître ou apprécier à sa juste valeur l’importance de la fin du conflit violent au PB et a donné un soutien inadéquat au processus de paix.
Les éléments clés des difficultés et notre analyse
De notre point de vue, les raisons principales de l’impasse sont :
1. La position maintenue par le gouvernement espagnol d’appliquer une stratégie de anti-terrorisme uniquement, qui inclut une politique de non engagement auprès de l’ETA, en dépit de la cessation irréversible de l’activité armée par l’ETA et de sa volonté de mettre hors service la totalité de son arsenal d’armes.
2. Le fait que l’ETA soit toujours en possession d’armes dangereuses et, par conséquent, reste une organisation terroriste en théorie malgré la cessation irréversible de son activité armée, sa volonté de mettre hors service la totalité de son arsenal d’armes et de démanteler l’organisation.
Le défi des personnes résolues à faire avancer le processus de paix réside dans la recherche de voies de résolution pour ces deux questions fondamentales.
De notre point de vue, il est simpliste de dire que les solutions consisteraient à ce que le gouvernement espagnol change sa politique et stratégie anti-terroriste et que l’ETA mette son arsenal hors service.
Nous pensons que les solutions consistent à déterminer ce qui doit être fait et par qui afin de conduire Madrid à changer sa politique et stratégie et l’ETA à mener au bout le processus de désarmement.
Une question cruciale est de savoir si ce qui doit être fait afin de remplir ces objectifs peut l’être sans engagement entre le gouvernement et l’ETA.
Selon nous, les conséquences de ne rien entreprendre dans l’espoir que le gouvernement d’Espagne et l’ETA s’y engagent dans un futur imprécis seraient risquées. Il y a du travail à faire maintenant et des acteurs clés qui ont de l’expertise et ont démontré ces dernières années leur volonté de faire avancer le processus de paix.
Ces parties ont la charge de provoquer les circonstances et de créer un environnement politique qui rendra le refus de s’engager impossible pour le gouvernement espagnol actuel ou pour tout gouvernement espagnol à venir.
Le GIC croit que les moyens permettant d’ouvrir un dialogue consistent à :
– Continuer et intensifier le travail fourni par le gouvernement basque, les partis politiques et la société civile au PB avec les victimes et entre les victimes de la violence de l’ETA et de l’Etat ainsi que sur la question des conséquences des années de violence et ;
– Reconstruire une relation entre le PNV et SORTU avec une ouverture d’esprit plus grande et non avec des positions prédéterminées, maintenir cette relation aussi longtemps qu’ils sont disposés à s’engager sur les questions liées aux conséquences de la violence.
Le GIC propose:
• La priorité doit être de reprendre l’engagement bilatéral entre le PNV et SORTU. D’après ce que nous avons pu comprendre, l’arrêt des échanges a été causé par un différend lié à des évaluations éthiques différentes du passé. Il est attendu que la gauche abertzale et/ou les prisonniers (de manière individuelle) fassent des déclarations comportant une réflexion sur et une critique de la violence du passé. Les désaccords portent sur la formulation.
L’objectif de la déclaration est double : une évaluation éthique ainsi que la possibilité pour les prisonniers de prétendre à des avantages ou des rémissions de peines.
D’après nous, si le PNV et SORTU arrivent à s’entendre sur la formulation, cela représenterait une étape majeure en faveur de la réconciliation, des prisonniers et, finalement, du désarmement.
Nous proposons donc, si les parties n’arrivent pas à trouver de consensus, qu’elles fassent intervenir une médiation par une tierce partie et, si nécessaire, des experts juridiques indépendants sur les lois pénales afin de les aider dans l’exercice de formulation.
De plus, en se fondant sur des expériences passées, le GIC pourrait apporter les formulations qui ont été utilisées avec succès afin de remédier à des situations similaires dans d’autres juridictions.
• Nous enjoignons au gouvernement français d’entamer le processus de rapprochement des prisonniers vers le sud de la France, au plus près de leurs familles au PB.
• Comme nous l’avons dit, la question de la confiance reste problématique. Le succès des négociations repose sur la confiance. Elle doit être gagnée et requiert de travailler sur tous les fronts. Un changement d’attitude vis-à-vis des adversaires d’hier permet d’aller dans le sens de la réconciliation et de rétablir la confiance. Sur la réconciliation, Nelson Mandela disait : “La réconciliation est un processus spirituel qui requiert plus qu’un cadre légal. Elle doit se réaliser dans les cœurs et les esprits des gens.”
Nous ne percevons pas assez de réconciliation dans les cœurs et les esprits de ceux qui dirigent le processus de paix.
• Nous avons déjà eu l’occasion de souligner le rôle primordial joué par la société civile et politique basque: le GIC encourage le gouvernement basque à continuer de travailler sur les propositions permettant de promouvoir la coexistence et d’explorer les opportunités de collaboration sur cette question avec le gouvernement de Navarre et les institutions majeures d’Iparralde.
• Le forum des partis du PB français devrait travailler avec et encourager les institutions en Iparralde à soutenir et s’impliquer dans les initiatives de paix mises en place les gouvernements basque et de Navarre.
• Les partis politiques qui s’impliquent au PB français devraient échanger avec leurs homologues dans la Communauté autonome basque et celle de Navarre sur la façon dont ils ont réussi à mettre en place un forum de négociations entre les partis..
• Nous encourageons tous les partis politiques du parlement basque à adopter les propositions faites par le Parti Populaire et de présenter une initiative commune visant à rétablir la Commission pour la Paix au sein du parlement.
• Conscients des complications dans le processus de désarmement par manque d’engagement des gouvernements français et espagnol, nous demandons à l’ETA de continuer à faire preuve de leadership en étant créatif dans son engagement auprès de la Commission Internationale du Désarmement et auprès d’autres institutions ou organes souhaitant aider dans le processus de désarmement et de mise hors service de l’arsenal de façon permanente.